La musique baroque a toujours été présente dans ma vie. Bien que mes parents ne soient pas musiciens, ce sont de grands mélomanes, comme le démontre bien la collection de disques de la maison familiale, laquelle s’articule autour d’enregistrements d’œuvres des 17e et 18e siècles.
J’ai eu mon premier cours de violon à l’âge de quatre ans. Peut-être que si on m’avait enseigné le violon baroque, les choses auraient été différentes… Peut-être que je n’aurais pas trouvé l’instrument si inconfortable, et peut-être que ma mère n’aurait pas eu à essayer de me convaincre de pratiquer. Je préférais courir m’asseoir au vieux piano droit et essayer de comprendre ce que représentaient les deux portées du système musical et quelle était leur relation avec les touches noires et blanches du clavier qui s’étendait devant moi. Et à tous les soirs, au moment de me coucher, j’écoutais une des deux faces de ma cassette préférée : les « Greatest Hits » d’Igor Kipnis. Curieusement, la cassette dédiée aux joyaux du répertoire violonistique n’avait pas pour moi le même intérêt.
À neuf ans, mes parents m’emmenèrent, ainsi que mes sœurs, dans un grand voyage de deux mois en Europe. Nous voyagions à bord un vieux Westfalia de Volkswagen que nous avions loué dans un garage situé sur le bord d’un canal d’Amsterdam. Cet été-là, j’ai découvert le meilleur de la culture européenne, j’ai acquis un petit accent français (c’est du moins ce qu’on m’a plus tard raconté), et j’ai découvert un endroit si merveilleux, je n’aurais pu l’imaginer même dans mes rêves les plus fous, la Hall d’exposition de la Compétition de clavecin de Bruges..
L’immense salle était envahie par une multitude de clavecins de toutes sortes, tous décorés différemment, avec un, deux, ou même trois claviers. La salle était pratiquement vide, c’était peut-être durant une des épreuves de la compétition, qui avait lieu dans l’édifice adjacent. J'étais libre d’aller où bon me semblait, essayant les touches d’un clavecin, et d’un autre, l’euphorie du moment à peine assombrie par la petite pointe de jalousie ressentie envers ma grand sœur qui elle, étudiante au conservatoire en clavecin, connaissait quelques pièces à jouer sur tous ces instruments. À mon retour au Québec, mes demandes incessantes furent finalement entendues, et après une année qui parut interminable, je pus enfin laisser le violon et me mettre à l’étude du clavecin, sans aucun regret.